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Numérique responsable et IA : une alliance possible ?

Rédigé par Emmanuel Castets | 24 mars 2025

L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle a bousculé les pratiques numériques. Par exemple, en matière de création digitale, elle transforme radicalement la production de contenus (texte, image, vidéo, etc.), la création ou refonte de sites Web, les interactions automatisées avec les clients (chatbot), etc.

Il faut le dire, l’IA offre aujourd’hui des opportunités inédites pour gagner en efficacité et en créativité. Mais derrière cette promesse d’innovation se cache un paradoxe majeur : comment concilier l’utilisation croissante des technologies IA, très gourmandes en ressources, avec les impératifs du numérique responsable et de l’éco-conception ? On peut même se demander si l’IA est compatible avec de tels enjeux.

Chez Adimeo, nous sommes d’avis de dire que oui. Il est tout à fait envisageable d’adopter une démarche responsable et durable, à condition de repenser nos méthodes pour réduire l’empreinte environnementale de ces outils.

Retour sur les fondamentaux du numérique responsable et de l’éco-conception

Le numérique responsable s’impose aujourd’hui comme une démarche incontournable pour les entreprises face aux enjeux environnementaux. L’impact écologique des technologies doit en effet être réduit par des pratiques d’éco-conception qui optimisent la consommation énergétique des infrastructures et des services numériques.

L’adoption de pratiques éthiques passe aussi par une meilleure gestion des données et une utilisation raisonnée des diverses technologies impliquées, en veillant à intégrer ces actions dès la conception des outils numériques. Parmi les bonnes pratiques à suivre, notons l’optimisation du code, le recyclage des données ou l’hébergement à faible consommation d’énergie.

Une chose est sûre, l’actualité du secteur montre que nombre d'entreprises et d’acteurs publics prennent conscience de ces enjeux et adoptent des pratiques en phase avec une transformation digitale durable. C’est notamment le cas de Microsoft et de Google qui ont conclu un partenariat pour une technologie plus verte dans leurs centres de données.

L’essor de l’intelligence artificielle dans la création digitale

L’intelligence artificielle s’impose de plus en plus dans le domaine de la création digitale. C’est un fait implacable. Ses applications, qui vont de la rédaction automatique à la génération d’images et de vidéos, révolutionnent les méthodes de travail de nombreuses activités et ouvrent de nouvelles perspectives pour les entreprises. Mais quid des enjeux environnementaux ?

Pour bien comprendre ce qui va suivre, faisons un rapide point des différentes approches et types d’IA qui existent.

  1. L’apprentissage automatique (Machine Learning), qui concerne les systèmes capables d’apprendre à partir de données et d’exemples. Ces derniers peuvent améliorer leurs performances au fil du temps.
  2. Les réseaux de neurones profonds (Deep Learning), qui reposent également sur l’apprentissage automatique, à la différence que les réseaux de neurones artificiels s’inspirent du fonctionnement du cerveau humain pour réaliser des tâches complexes. Ils sont capables d’apprendre des représentations de données hiérarchiques (reconnaissance d’images, reconnaissance faciale, traduction automatique, etc.).
  3. Le traitement du langage naturel (NLP), qui se concentre sur la compréhension et la génération du langage humain par les machines. Cette technologie est utilisée dans une variété d’applications, comme la traduction automatique, la correction grammaticale, la génération de texte, etc.
  4. La vision par ordinateur (IA Vision), qui permet aux machines de comprendre et d’interpréter les images et les vidéos (détection d’objets, conduite autonome, diagnostics médicaux, etc.).
  5. L’IA conversationnelle, conçue pour dialoguer avec les humains de manière naturelle. Pour cela, elle utilise le traitement du langage naturel pour comprendre et générer des réponses cohérentes dans les conversations (chatbot, ChatGPT-4o, assistant virtuel, etc.).
  6. L’IA générative utilise différentes techniques avancées pour générer du contenu (Deep Learning, langage naturel, IA conversationnelle, etc.). C’est sans doute le modèle le plus connu et le plus utilisé pour générer du texte, des images, des vidéos ou de la musique. C'est le cas de DALL-E (Open AI) pour la génération d’images ou de Claude (Anthropic) et ChatGPT pour le texte.
 

Les impacts environnementaux de l’intelligence artificielle

Si l’IA apporte indéniablement de nombreux bénéfices en termes de productivité et de créativité, elle soulève des préoccupations environnementales importantes.

Saviez-vous que, selon Similarweb, ChatGPT recevrait pas moins de 200 millions de visiteurs uniques par mois ? Bien évidemment, il est loin d’être le seul outil qui utilise l’intelligence artificielle.

D’après une étude réalisée en 2023 (autant dire que les choses n’ont fait qu’aller crescendo depuis), par Sasha Luccioni, l’entraînement de GPT-3 a émis environ 550 tonnes d’équivalent CO2. Grâce à un comparateur carbone, on peut voir que cela correspond à :

  • 75 758 allers-retours Paris - Berlin en TGV ;
  • 608 833 épisodes de Game of Thrones en streaming ;
  • 15 691 057 recherches sur le Web.

Et l’entraînement des outils IA n’est pas la seule donnée à considérer, ni même celle qui pollue le plus.

En effet, l’entraînement d’un modèle IA n’intervient qu’une ou deux fois dans la vie du modèle, alors que l’usage que l’on en fait (appelé coûts d’inférence) génère 25 fois plus d’émissions annuelles que l’entraînement de ChatGPT-3 (pour garder cet exemple).

L’impact estimé pour une seule requête sur ChatGPT est de 1,54 g de CO2 (énergie pour les serveurs comprise). Si l’on considère que chacun des 200 millions de visiteurs uniques mensuels fait en moyenne 5 requêtes, cela représente 1 milliard de requêtes mensuelles, soit 1 540 000 kg de CO2 par mois. Si nous reprenons le comparateur carbone, cela représente :

  • 1 589 532 allers-retours Paris - Berlin en TGV ;
  • 180 265 313 heures de streaming vidéo ;
  • 9 382 113 821 recherches sur le Web.

En sachant qu’ici, nous ne parlons que de ChatGPT et des visiteurs uniques. Dans les faits, la génération d’image est 60 fois plus énergivore que la génération de texte.

La question est finalement de savoir si une requête via un outil IA est plus polluante qu’une requête sur Google. Or, selon le moteur de recherche lui-même, une requête chez lui génère une émission de 0,2 gr de carbone (contre 1,54 pour ChatGPT).

Et attention, outre la consommation d’énergie considérable nécessaire au fonctionnement des algorithmes d’IA (entraînement, utilisation, infrastructure), il faut aussi prendre en compte la consommation d’eau nécessaire au refroidissement des data centers. Par exemple, l’entraînement de GPT-3 a nécessité plus de 320 000 litres d’eau...

Des chercheurs américains de l’université de Californie à Riverside et de l’université du Texas à Arlington ont d’ailleurs estimé que l’intelligence artificielle devrait représenter entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d’eau en 2027, ce qui correspondrait à 4 ou 6 fois la consommation annuelle du Danemark !

Enfin, lorsqu’on compare l’IA à d’autres outils numériques, il apparaît clair que son intensité énergétique et ses besoins en ressources se distinguent nettement. Si certains outils digitaux ont pu évoluer vers des solutions plus économes en énergie, l’IA, en raison de la complexité de ses algorithmes et de la puissance de calcul requise, reste un secteur très énergivore.

Cela va sans dire, cette situation incite à repenser et à optimiser les technologies IA pour en réduire drastiquement l’impact écologique, tout en continuant de bénéficier de ses avancées pour la création digitale.

C’est d’ailleurs la position de l’Union européenne, qui veut réglementer l’utilisation de l’intelligence artificielle. Son objectif est justement de promouvoir une IA éthique et responsable (numérique responsable et éco-conception).

L’intelligence artificielle peut-elle vraiment être éco-responsable ?

Face aux conséquences environnementales de l’IA, s’inscrire dans le numérique responsable et l’éco-conception semble paradoxal. Et c’est d’autant plus vrai pour les entreprises et professionnels qui utilisent de plus en plus l’IA pour la création digitale.

L’intelligence artificielle éco-responsable : une approche réglementaire

Les entreprises et professionnels qui utilisent l’IA ont un champ d’action limité quant à leur propre pratique. Améliorer l’éco-responsabilité de l’intelligence artificielle est en effet davantage l’affaire des concepteurs de systèmes IA et des institutions publiques.

Ce sont ces acteurs qui pourront réellement optimiser le fonctionnement pour réduire son impact environnemental, comme le développement de modèles de données et d’infrastructures éco-responsables.

La bonne nouvelle, c’est que des référentiels d’IA responsables ont vu le jour ces dernières années, à commencer par :

  • Le référentiel général d’éco-conception des services numériques (RGESN), un document technique destiné aux experts et métiers du numérique, et élaboré par l’Arcep et l’Arcom, en collaboration avec l’ADEME, la DINUM, la CNIL et l’INRIA ;
  • Le référentiel dédié à l’IA éthique et responsable (RIA31), élaboré par l’Institut du Numérique Responsable (INR), qui regroupe 31 critères consacrés uniquement à l’IA, ce qui le rend complémentaire au RGESN ;
  • Le référentiel général pour l’IA frugale (AFNOR Spec), une initiative du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, qui mesure et réduit l’impact environnemental de l’IA.

Notons que le rôle des pouvoirs publics est essentiel dans la régulation du numérique, afin d’apporter une approche systémique qui implique l’ensemble des acteurs.

Ainsi, la Commission européenne a récemment élaboré un règlement européen sur l’intelligence artificielle, ou AI Act, entré en vigueur le 1er août 2024, qui a spécifiquement pour but de promouvoir un développement et une utilisation responsables de l’IA au sein de l’Union européenne.

L’intelligence artificielle éco-responsable : les stratégies possibles

Pour réduire l’empreinte écologique de l’intelligence artificielle, plusieurs stratégies techniques et organisationnelles peuvent être mises en place.

> L’optimisation des algorithmes des outils IA

Tout d’abord, l’optimisation des algorithmes joue un rôle déterminant. En revisitant les processus de calcul, notamment grâce à des techniques de compression, de pruning (élagage) ou d’entraînement distribué, il est possible de diminuer la consommation d’énergie de certains modèles jusqu’à 30 %.

L’amélioration de l’efficacité des algorithmes peut non seulement réduire ces émissions, mais aussi en améliorer les performances.

> Le recours à des centres de données « verts »

En parallèle, le choix d’infrastructures plus écologiques représente une autre solution. De nombreux acteurs de la tech, comme Google et Microsoft dont nous avons déjà parlé, investissent dans des data centers alimentés par des sources d’énergie renouvelable (énergie solaire ou éolienne). Ces centres de données certifiés « verts » affichent aujourd’hui une efficacité énergétique améliorée de l’ordre de 40 % par rapport aux infrastructures traditionnelles.

En outre, les data centers « verts » utilisent des solutions de refroidissement par évaporation et des contrôles intelligents de température et d’éclairage. Ils recyclent parfois le surplus de chaleur pour chauffer des habitations et réduisent le nombre de serveurs actifs pendant les heures creuses de faible trafic.

> L’accessibilité du code source des outils IA

Enfin, l’Open Source est un levier à ne pas négliger.

Les modèles d’IA Open Source désignent des logiciels dont le code source est ouvert au public, contrairement aux IA propriétaires dont le code est fermé et souvent payant. Autrement dit, les outils IA Open Source permettent aux utilisateurs de consulter, de modifier et de partager ledit code librement.

Les entreprises peuvent alors adapter les outils à leur secteur d’activité et à leurs besoins, en plus de profiter d’une plus grande transparence en matière de contrôle sur les données.

> L’exemple de DeepSeek

La récente arrivée de DeepSeek (le 20 janvier 2025), développé par une start-up chinoise du même nom, n’est pas passée inaperçue. Concurrent direct de ChatGPT et des autres outils d’IA générative et conversationnelle, l’outil se revendique comme plus puissant que ses concurrents, entièrement gratuit, et Open Source.

DeepSeek a d’ailleurs misé sur l’optimisation des algorithmes et la réduction des coûts de calcul (entraînement ciblé, stratégies de compression de modèles, meilleure répartition des charges de calcul, etc.). En utilisant moins de ressources informatiques, il réduit d’autant son impact écologique.

Selon les premières estimations, la consommation électrique de DeepSeek baisserait de 90 % et son empreinte carbone chuterait d’environ 92 %, sans compter qu’il nécessiterait un refroidissement moindre (là où le refroidissement représente d’habitude une grosse part des coûts énergétiques et de consommation d’eau).

> L’intelligence artificielle éco-responsable : et les entreprises utilisatrices ?

Si l’éco-responsabilité de l’IA dépend principalement des méthodes de conception et d’entraînement, les utilisateurs d’outils IA peuvent contribuer aux efforts. Pour cela, ils doivent adapter leur utilisation et intégrer des pratiques de durabilité dans leur création digitale.

Mais ne serait-il pas plus approprié de se passer de l’intelligence artificielle ? Oui et non. Tout d’abord, il faut vivre avec son temps et les évolutions (ou révolutions) technologiques. En plus, le secteur du marketing digital est profondément tributaire des changements numériques. S’adapter et innover est indispensable pour rester compétitif. Et puis, il convient de ne pas oublier que l’IA peut aider les entreprises dans l’éco-conception de leurs produits ou services.

Parce que oui, l’IA peut être utilisée pour améliorer la performance et l’efficacité des sites Web tout en adoptant des solutions d’éco-conception. La création digitale doit trouver un équilibre entre l’innovation technologique et la responsabilité environnementale.

Adopter une démarche éco-responsable lors de la réalisation de projets digitaux qui impliquent l’utilisation de l’intelligence artificielle consiste aussi à limiter l’usage desdites IA et à choisir le bon outil IA (éco-responsable, de préférence).

Par exemple, il est préférable de cibler précisément ses requêtes sur ChatGPT en donnant suffisamment de contexte, sur plusieurs lignes si nécessaire, pour éviter d’effectuer plusieurs requêtes à la suite ou d’enchaîner avec une conversation. Il est également opportun de se questionner sur l’utilité de la requête. Est-elle réellement nécessaire ? Une recherche Google ne suffirait-elle pas ? Le gain de temps est-il réel ? Etc.

Bien entendu, cette culture de la sobriété numérique se doit d’être partagée au sein des équipes.

Vous pouvez également mesurer et suivre l’empreinte numérique de votre site Web grâce à des solutions telles que Website Carbon Calculator, Boavizta, EcoIndex ou des outils développés en interne, et ce, en temps réel. Ces indicateurs peuvent aident à identifier les axes d’amélioration et à suivre l’évolution des performances écologiques au fil du temps.

Exemple d'un résultat - Ecoindex

Pour conclure, il est évident que l’intelligence artificielle offre d’importantes possibilités en matière de création digitale (automatisation, personnalisation poussée des services, optimisation technique). Pourtant, derrière ces avancées se cache un problème de taille : l’utilisation de l’IA engendre des impacts environnementaux notables, notamment en termes de consommation énergétique et de ressources. Face à ce dilemme, il faut repenser et optimiser l’utilisation de l’IA pour construire un numérique plus durable. Les entreprises ont un rôle à jouer pour se positionner non seulement comme des acteurs avant-gardistes, mais aussi comme des partenaires engagés dans la préservation de l’environnement.

L'éco-conception, c'est aussi l'affaire des agences comme Adimeo ! Poursuivez votre lecture avec notre article « Comment faire de l'éco-conception en tant qu'agence ? » et découvrez comment nous mettons en œuvre des démarches responsables dans vos projets digitaux.

Crédit photo : tanit boonruen