Les projets digitaux avancent aujourd’hui dans un environnement où tout évolue rapidement. Les usages bougent, les attentes se fragmentent, les technologies s’enchaînent. Pourtant, les équipes projet doivent arbitrer, décider, concevoir, le plus souvent sans disposer d’une vision claire des besoins réels des utilisateurs. Résultat, les zones d’incertitude s’installent, les hypothèses s’accumulent et les approches dites « classiques » peinent à apporter des réponses concrètes.
Le design thinking (parfois traduit en français par « esprit design » ou « pensée design ») propose une autre voie. Au lieu de s’appuyer sur des suppositions, cette méthode pousse à revenir au terrain, à observer les utilisateurs, à les écouter et à tester rapidement. Elle crée un cadre où les équipes peuvent s’aligner, comprendre plus finement les attentes et les comportements des utilisateurs finaux, et avancer par étape. Cette approche aide à concevoir des solutions qui trouvent leur place en combinant désirabilité, faisabilité technique et viabilité pour l’organisation.
Revenons sur les fondements du design thinking, mais aussi sur ses principes clés, ses étapes ainsi que les bonnes pratiques pour en faire un levier de choix pour vos projets digitaux.
Souvent évoqué dans les projets, le design thinking est très rarement défini de manière précise. Avant d’en explorer les principes, il semble important de revenir sur ses fondements.
Formalisé au début des années 1990 par Rolf Faste, professeur à l’université de Stanford, le design thinking est une méthode de conception centrée sur l’humain. Elle vise à comprendre en profondeur les besoins, les attentes et les usages réels des utilisateurs afin de guider la conception de solutions plus pertinentes.
Cette approche répond à un constat simple. Dans de nombreux projets (digitaux ou non), des écarts se creusent entre ce que les équipes imaginent et les attentes des utilisateurs. Le design thinking cherche ainsi à les réduire, en confrontant rapidement les idées au terrain et en intégrant les utilisateurs dès les premières étapes de réflexion.
Le design thinking s’appuie sur trois piliers complémentaires pour faire émerger des solutions qui ont du sens :
Le design thinking ne se résume pas à une succession d’étapes ou d’ateliers de co-conception. C’est aussi un état d’esprit qui influence la manière d’observer, de collaborer et d’expérimenter.
Il repose d’abord sur l’empathie. Comprendre ce que vivent vraiment les utilisateurs, à savoir leurs motivations, leurs contraintes ou leurs frustrations, contribue à éviter les interprétations trop hâtives et la conception de solutions déconnectées de la réalité. Le design thinking valorise également le droit à l’erreur. Tester tôt, même de façon imparfaite, permet d’apprendre et d’ajuster les intuitions avant d’engager d’importantes ressources.
La démarche encourage également le prototypage précoce. Donner une forme concrète aux idées, même très simplement, facilite les échanges, clarifie les intentions et rend les concepts immédiatement testables. C’est souvent grâce à ces premiers prototypes que les équipes projet identifient ce qui fonctionne réellement.
Enfin, le design thinking s’appuie sur l’intelligence collective. Réunir des profils variés, accueillir les différentes contributions et adopter une posture d’ouverture enrichit les idées, renforce leur pertinence et favorise l’émergence de solutions plus durables.
Le design thinking repose sur quatre principes fondamentaux qui structurent la démarche et orientent le travail des équipes projet. Ces derniers constituent la base d’une conception plus juste, plus utile et plus alignée sur les usages.
Le processus de design thinking commence toujours par le terrain. Avant d’imaginer des solutions, il faut observer et écouter les utilisateurs pour comprendre ce qu’ils vivent réellement. L’enjeu est de dépasser les déclarations d’intention pour capter des comportements concrets, des irritants, des contraintes ou des besoins implicites qui échappent aux approches classiques.
L’observation, l’immersion et les interviews apportent chacun des éclairages aussi variés que complémentaires sur l’expérience vécue. Combinés, ils permettent d’identifier des insights utilisateurs, c’est-à-dire des enseignements clés qui guident la suite du processus de co-conception.
Comprendre l’utilisateur, c’est donc poser les fondations du projet. Sans ce socle, les décisions se construisent sur des hypothèses (parfois fragiles) et la solution risque de s’éloigner des usages réels.
Le design thinking repose aussi sur la conviction qu’une solution « aboutie » émerge rarement d’un point de vue unique. Au contraire, cette solution naît de la diversité des expériences, des métiers et des expertises mobilisées autour d’un même enjeu.
Travailler en intelligence collective consiste d’abord à créer des conditions pour que chacun puisse contribuer, quels que soient son rôle dans l’organisation et ses compétences. Cette diversité apporte des angles d’analyse complémentaires sur la vision du métier, les contraintes techniques, les attentes utilisateurs et les enjeux stratégiques. Elle permet aussi de sortir des schémas de pensée habituels et d’ouvrir des pistes qui n’auraient pas été identifiées autrement.
La co-création occupe ici une place centrale. Faire travailler les équipes ensemble, en atelier ou en session de travail collaborative facilite l’appropriation des sujets et accélère la prise de décision. C’est dans ces échanges que les idées se confrontent, se combinent et se transforment en propositions plus abouties.
L’intelligence collective joue enfin un rôle d’alignement. En clarifiant les attentes et les contraintes dès le début, elle réduit le risque de quiproquos et facilite la suite du projet. Cette dynamique n’est pas seulement un atout méthodologique, puisqu'elle renforce aussi la qualité des solutions et sécurise leur mise en œuvre.
Autre principe clé du design thinking : ne pas attendre la fin d’un projet pour confronter les idées à la réalité. Plus une équipe teste tôt, plus elle identifie rapidement ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré, ajusté ou abandonné. L’expérimentation n’est donc pas une étape finale. C’est un réflexe qui doit être permanent et intégré à chaque avancée du projet.
Le prototypage rapide joue d’ailleurs un rôle déterminant à ce titre. Un croquis, une maquette ou encore un scénario d’usage suffisent souvent pour révéler des incompréhensions, confirmer une intuition ou ajuster une fonctionnalité. Ces premières matérialisations rendent les intentions visibles, discutables et surtout testables.
Les retours du panel utilisateur nourrissent ensuite une dynamique d’apprentissage continu. Chaque échange apporte un signal, parfois subtil, qui aide à affiner la proposition de valeur et à orienter les prochaines itérations. En avançant petit pas par petit pas, les équipes projet limitent les risques, réduisent les coûts liés aux erreurs et conservent la flexibilité nécessaire pour ajuster le projet au fil des découvertes.
Enfin, le dernier principe du design thinking consiste à créer des solutions qui génèrent du sens et de la valeur réelle, à la fois pour les utilisateurs et pour les organisations. Il ne s’agit donc pas simplement de produire des idées, mais bien d’apporter des réponses utiles, centrées sur les usages et alignées avec les objectifs du projet.
Cette recherche de valeur commence par l’utilité concrète. Une solution pertinente répond à un besoin réel, à une simplification de parcours ou à l’élimination d’un irritant ou point de blocage. Mais surtout, une solution pertinente doit être adoptable. Les apprentissages issus de l’observation, du prototypage et des tests utilisateurs garantissent une expérience compréhensible et adaptée au contexte.
Et la valeur se joue aussi dans le temps. Une solution réussie s’intègre parfaitement dans son écosystème. Elle reste cohérente dans la durée et saura évoluer.
Après avoir exploré les grands principes du design thinking, une question demeure : comment les traduire en pratique ?
La démarche s’appuie sur un processus itératif, jamais totalement linéaire, au cours duquel les équipes explorent, formulent, testent, ajustent et reviennent parfois en arrière au gré des apprentissages.
Pour représenter cette dynamique, le Design Council (institution publique responsable des questions de design de services au Royaume-Uni) propose le modèle du « Double Diamant ». Ce dernier illustre deux grands cycles organisés chacun autour de deux mouvements complémentaires.
Ce modèle a l’avantage d’offrir une lecture claire du processus, où chaque étape produit des livrables concrets, des décisions et des apprentissages qui orientent la suite du projet.
Pour en savoir plus sur le modèle du Double Diamant, nous avons rédigé un article qui lui est entièrement consacré.
La phase « Découvrir » (ou Discover en anglais) ouvre le premier diamant. Ici, l’objectif n’est pas encore de résoudre un problème, mais de documenter la réalité, collecter des informations fiables et comprendre le contexte d’usage.
Cette étape consiste donc à réunir des données tangibles et exploitables, qui serviront de matière pour la suite du projet. Pour cela, on analyse l’existant, on identifie les irritants, on observe les comportements et on capte les signaux faibles.
Ce que produit cette étape :
Ce que cette étape permet :
Il ne s’agit pas encore de résoudre, mais de comprendre avant d’agir.
La phase « Définir » (ou Define en anglais) clôture le premier diamant. Elle transforme la matière collectée en une formulation claire du problème, ciblée et actionnable. On ne parle plus ici d’observer (cela a déjà été fait précédemment), mais de synthétiser, prioriser et choisir ce sur quoi agir.
Cette étape implique de :
Ce que produit cette étape :
Ce que cette étape permet :
C’est une étape pivot, car une bonne définition du problème crée un effet de levier sur tout le reste du processus.
La phase « Développer » (ou Develop en anglais) ouvre le deuxième diamant. Elle consiste à explorer les solutions possibles et à en produire une variété suffisante pour ne pas se limiter trop tôt.
Cette étape s’appuie sur ce qui a été défini précédemment, mais ne se confond pas avec les principes. Il ne s’agit pas d’encourager l’intelligence collective (principe), mais d’organiser des sessions qui produisent réellement des pistes exploitables.
Ce que cette étape implique :
Ce que produit cette étape :
Ce que cette étape permet :
L’objectif à ce stade n’est pas de trouver LA solution, mais de définir ce qui mérite d’être prototypé.
La phase « Livrer » (ou en anglais Deliver) clôture le processus. Cette dernière étape consiste à donner forme aux idées retenues et à les confronter au réel pour mesurer leur pertinence.
Attention, cette étape n’est pas une répétition du principe « tester tôt ». Elle porte sur ce qui est produit, testé et décidé à ce moment précis du projet.
Ce que cette étape implique :
Ce que produit cette étape :
Ce que cette étape permet :
L’étape « Livrer » n’est pas la fin, c’est la première version solide de ce que deviendra le projet final.
Le design thinking trouve son application naturelle dans les projets digitaux. En effet, les usages y évoluent vite, les attentes y sont parfois floues et les arbitrages y reposent souvent sur des hypothèses. En recentrant la conception sur l’utilisateur et sur l’expérimentation, le design thinking permet de sécuriser les décisions tout au long du cycle de conception.
Les projets de refonte exigent de clarifier les besoins, simplifier les parcours et moderniser l’expérience sans perdre la cohérence existante. Le design thinking apporte à ce titre une certaine méthodologie pour repenser en profondeur l’expérience utilisateur, en évitant les écueils de refonte centrée sur la technique ou l’organisation interne.
Dans ce type de projet, la démarche permet de :
Cette approche évite les refontes déconnectées des usages, réduit les risques d’erreur et permet surtout de créer une interface plus intuitive, plus accessible et plus efficace.
L’innovation digitale implique souvent de naviguer dans l’incertitude. Nouveaux usages, nouveaux besoins, nouveaux modèles, le design thinking permet d’explorer ces zones d’ombre sans engager des ressources trop lourdes.
Il aide notamment à :
Cette démarche permet de sécuriser un concept avant de passer en développement et d’éviter le piège des projets qui construisent trop et trop tôt.
Tous les projets ne nécessitent pas une refonte complète. Beaucoup gagnent en performance par améliorations incrémentales, notamment sur des parcours critiques : formulaires, tunnel de paiement, onboarding, espace client, etc.
Le design thinking apporte ici une approche pragmatique, puisqu’il :
Cette approche permet de corriger ce qui compte vraiment, au bon moment, sans créer de rupture dans l’expérience ni mobiliser des budgets disproportionnés.
Le design thinking est une démarche puissante pour concevoir des solutions utiles et ancrées dans les usages. Mais comme toute méthode, il demande rigueur, cadrage et maturité. Bien appliqué, il crée un levier stratégique pour les projets digitaux. Mal compris, il se transforme rapidement en enchaînement d’ateliers décoratifs sans réel impact.
Voici ce qu’il faut retenir pour tirer pleinement profit de cette approche, tout en évitant ses pièges.
> Impliquer les utilisateurs au bon moment
Le design thinking gagne en pertinence lorsqu’il s’appuie sur un panel représentatif. Mais l’implication doit être progressive. En début de démarche pour explorer les usages, à mi-parcours pour tester les prototypes, et en continu pour affiner les choix. Si c’est fait trop tard, l’effort perd en efficacité.
> Favoriser la diversité des expertises
Plus les contributions sont variées (métiers, techniques, communication, support client, direction), plus la solution a de chances d’être aboutie et réaliste. La richesse du design thinking repose sur cette pluralité de points de vue.
> Documenter les apprentissages
Insights, verbatims, schémas, parcours ou arbitrages, tout ce qui alimente la compréhension doit être capté. Cette documentation crée un fil conducteur qui évite de « perdre » les décisions lorsque le projet s’accélère.
> Prototyper rapidement, sans chercher la perfection
Le prototype n’est pas un livrable final. C’est un support de discussion. Il s’agit dans la majorité des cas de croquis, de wireframes de qualité minimum, de storyboards, etc. L’idée est d’avancer pour constater si la voie choisie est la bonne.
> Tester systématiquement
Chaque test, même sur 4 ou 5 utilisateurs, fait émerger des signaux précieux. C’est l’un des leviers les plus fiables pour valider les choix, détecter les irritants et améliorer une interface sans surinvestir.
> Accepter l’itération comme un fonctionnement naturel
Le design thinking avance par petits pas. Ajuster, revenir en arrière, reformuler, etc., ce n’est pas une faiblesse, c’est le cœur du processus. Les équipes les plus efficaces sont celles qui intègrent cette dynamique sans chercher à la contraindre.
> Ancrer la démarche dans une culture d’équipe
Le design thinking fonctionne lorsqu’il dépasse le cadre d’un atelier ponctuel. Il doit s’inscrire dans une culture de projet : écoute, collaboration, pragmatisme, expérimentation. Ce changement de posture est souvent plus décisif que la méthode elle-même.
> « Le design thinking, c’est mettre des post-its sur un mur. »
C’est l’idée reçue la plus répandue… et la plus éloignée de la réalité. Les post-its sont des outils de facilitation, pas la méthode. Le design thinking repose avant tout sur un travail rigoureux d’analyse, de synthèse, de prototypage et de tests.
> « Quelques ateliers suffisent pour trouver la solution. »
Un atelier d’idéation ne remplace ni la compréhension utilisateur, ni les tests, ni le prototypage. Sans boucle d’apprentissage, le design thinking s’arrête à mi-chemin.
> « Le design thinking donne systématiquement la bonne réponse. »
Ce n’est pas une garantie. Le design thinking permet d’augmenter les chances de trouver une réponse utile et adoptable, mais il dépend grandement de la qualité de la recherche, du panel utilisateur, du cadre et de la capacité de l’organisation à itérer.
> « Il n’y a pas besoin de cadrage, puisqu’on explore. »
Au contraire, un bon design thinking commence par un cadrage clair avec objectifs, périmètre, contraintes et ressources. Sans cela, la démarche devient confuse et génère plus de dispersion que de valeur.
> « Tout doit passer par le design thinking. »
La méthode n’est pas nécessaire pour des besoins simples ou des évolutions techniques évidentes. Elle est particulièrement utile lorsqu’il y a incertitude, pluralité d’usages, besoin d’alignement ou enjeux stratégiques.
> « Le design thinking exige de la disponibilité et de la discipline. »
Impliquer des utilisateurs, organiser des ateliers, tester, itérer, etc., toutes ces actions nécessitent du temps et de l’engagement. Les équipes doivent anticiper cette réalité pour éviter les démarches incomplètes ou trop accélérées.
En résumé, le design thinking n’est pas une méthode parmi d’autres. C’est une façon de concevoir qui replace l’humain au centre, révèle des besoins souvent invisibles, et permet aux équipes de progresser dans l’incertitude avec plus de justesse et de maîtrise. En combinant observation du terrain, intelligence collective, prototypage rapide et tests réguliers, il crée un cadre où les idées deviennent concrètes, où les décisions s’appuient sur le réel, et où chaque itération rapproche un peu plus la solution des usages.
Dans un paysage digital en constante (r)évolution, cette approche offre un repère précieux. Elle aide les organisations à concevoir des produits et services réellement utiles, à réduire les risques d’usure projet et à gagner en efficacité décisionnelle. Autrement dit, elle favorise la production de valeur durable, au bon endroit, au bon moment.
Chez Adimeo, nous appliquons régulièrement ces principes dans les projets de nos clients. Nous les mobilisons pour cadrer une initiative, concevoir une nouvelle expérience, refondre un service ou accompagner une équipe dans la montée en compétence. À chaque fois, l’objectif reste le même : faire du design thinking un levier de progression, et surtout un moyen d’obtenir des résultats concrets, mesurables et utiles.
Parce qu’au-delà des outils, c’est l’approche et la posture qui font la différence. Et c’est là que le design thinking révèle toute sa force.
Crédit photo : scyther5