Prendre en compte les biais cognitifs dans votre stratégie UX Design
*Nous hallucinons tous tout le temps, y compris maintenant. Et lorsque nous sommes en accord avec nos hallucinations, nous appelons cela "la réalité".
Les biais cognitifs font partis intégrants de nos vies. Malgré leur prédominance, on connait mal ce mécanisme de pensée irrationnel. Nous verrons ensemble l’importance des biais cognitifs dans une stratégie d’UX Design (d’un point de vue utilisateur mais aussi appliquée aux UX Designer) et les principaux biais que l’on peut retrouver dans ce domaine. C’est ainsi qu’en apprenant à les identifier nous serons plus à même de les comprendre et d’améliorer nos comportements et nos interfaces.
Qu'est-ce qu'un biais cognitif ?
Les biais cognitifs proviennent de la psychologie cognitive qui met l’esprit humain au cœur des préoccupations. La théorie des biais a été introduite au début des années 1970 par les psychologues Daniel Kahneman (livre : système 1 / système 2 : les deux vitesses de la pensée) et Amos Tversky pour justifier la prise de décision irrationnelle. Il est décrit que le cerveau traite la prise de décision en deux étapes : une première pensée rapide et intuitive suivie une seconde plus lente et rationnelle. C’est lors de cette première étape que les biais cognitifs font leur apparition.
Il s’agit d’une forme de pensée et des distorsions de celle-ci qui nous font porter un jugement ou une appréciation rapidement. Aussi surprenant soit-il, on raisonne à 95 % avec le premier système de pensée rapide et intuitif. Ainsi pour s’éviter une saturation face à la charge cognitive car il ne peut pas traiter toutes les données en même temps, notre cerveau a adopté un raccourci. Ce processus inconscient est appelé « biais cognitif ».
La cartographie « Codex » les regroupe en 6 catégories :
- Les biais sensori-moteurs : illusions liées aux sens et à la motricité ;
- Les biais de jugement : déformations de la capacité de juger ;
- Les biais attentionnels ou biais d’attention : problèmes d’attention ;
- Les biais mnésique : liés à la mémoire ;
- Les biais liés à la personnalité : relatifs à l’influence social, la culture ou la langue ;
- Les biais de raisonnement : paradoxes propres au raisonnement.
Ils sont très nombreux et omniprésents. On baigne dans les biais cognitifs tous les jours sans même s’en rendre compte car ils impactent de nombreux domaines et secteurs : marketing, publicité, sciences cognitives ou justement le design d’expérience utilisateur. Il est donc intéressant de s’y attarder un peu plus longtemps.
Les 10 biais cognitifs incontournables
Plus de 250 biais cognitifs sont recensés dans la cartographie « Codex ». Nous avons choisi de vous présenter notre top 10 des biais incontournables en UX Design :
1. L’effet Von Restorff
Affecte la façon dont nous percevons et mémorisons les choses. On sera ainsi plus à même de se souvenir de ce qui sort de l’ordinaire.
Exemple d’application UX : Une interface sera d’autant plus percutante si les informations et actions importantes se distinguent du lot du fait de leurs formes ou de leurs couleurs (sur des boutons d’actions, des mots-clés…)
2. L’effet Ikea
Le travail peut induire une appréciation démesurée. Ainsi un individu accordera plus de valeur à un produit qu’il a partiellement créé car il s’agit du « fruit de son travail ».
Exemple d’application UX : Laisser l’utilisateur réaliser des actions de personnalisation par lui-même (compléter son profil, rajouter une musique à une playlist…) permettra de renforcer son lien avec le service/produit.
3. L’effet de simple exposition
L’exposition répétée à même élément favorise la familiarité avec celui-ci.
Exemple d’application UX : La mise en place de codes graphiques grâce à un design system facilitera par la suite l’interaction et la navigation de l’utilisateur sur le site.
4. L’effet de halo
Partir d’une caractéristique spécifique pour fonder un jugement plus général. On peut décider de voir tout blanc ou tout noir à partir d’un simple détail qui aura forgé notre opinion de départ.
Exemple d’application UX : L’UX designer doit prêter une certaine attention à l’esthétique des interfaces. Ils sont la vitrine et détermineront la première impression que se feront les utilisateurs du service proposé.
5. Biais du statu Quo
Une méfiance à l’égard du changement et de la nouveauté qui sont plutôt perçus comme une source de risques. L’utilisateur sera plus rassuré face à des choix qu’il a déjà expérimenté.
Exemple d’application UX : L’UX designer devra privilégier des améliorations progressives et éviter tous changements soudains qui pourraient effrayer l’utilisateur.
6. Biais de confirmation
Une tendance à privilégier les informations qui confirment ce qu’on pensait déjà plutôt que de raisonner de manière plus scientifique et essayer de confirmer ou non notre hypothèse.
Exemple d’application UX : Lors d’une recherche utilisateur, la formulation des questions de l’UX Researcher est importante. Il doit rester le plus neutre possible afin de ne pas orienter et biaiser la réponse de l’utilisateur.
7. Biais de négativité
Notre attention aura tendance à se focaliser dans un premier temps sur les informations négatives plutôt que positives. C’est une manière instinctivement et primaire pour nous de rester sur nos gardes.
Exemple d’application UX : Un message d’erreur sur une interface sera perçu bien plus rapidement que le reste.
8. L’effet de contraste
La perception d’une information est affectée par la perception d’une information de nature opposée produite antérieurement ou en même temps.
Exemple d’application UX : Bien veiller à la fidélité et qualité identique des écrans lors d’un test A/B. En effet on ne peut pas comparer des wireframes à des maquettes graphiques.
9. L’effet Hawthorne
Du fait de l’attention qu’on leur porte d’avoir été choisi dans le cadre d’une expérience, les personnes interrogées/testées modifient leur comportement qui se traduira par une plus grande motivation.
Exemple d’application UX : Cet effet sera bien utile lors des ateliers d’idéation et de co-conception mais sera à contrario à éviter lors des tests utilisateur.
10. L’effet Ringelmann (paresse sociale)
Lors de tâches collaboratives, paradoxalement plus le nombre de membres d’un groupe augmente plus la performance individuelle tend à diminuer. La taille d’un groupe peut donc jouer sur la productivité.
Exemple d’application UX : Afin d’éviter ce biais, il est recommandé de privilégier les petits groupes lors des ateliers d’idéation.
Et pour aller plus loin...
1. Loi de Hicks
Le temps nécessaire pour prendre une décision augmente en fonction du nombre et de la complexité des choix.
Exemple d’application UX : Afin de ne pas surcharger inutilement les utilisateurs, il faut limiter ou séquencer le nombre de choix proposés dans le menu, formulaires...
2. Loi de Jakob
L’originalité peut dérouter car l’humain préfère se diriger plus volontiers vers ce qu’il connaît déjà.
Exemple d’application UX : L’interface du site doit rassurer l’utilisateur et ressembler plus ou moins aux autres sites sur lesquels il a l’habitude d’aller.
3. Loi de Parkinson
Le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement.
Exemple d’application UX : La minuterie mise sur une page peut créer un sentiment d’urgence qui poussera l’utilisateur à finaliser son action.
4. Loi de Tesler
Quel que soit le système il y a toujours un certain degré de complexité qui ne pourra pas être réduit.
Exemple d’application UX : Pour que le paiement en ligne soit facilité pour l’utilisateur il devra être plus complexe pour le développeur chargé d’inventer ce système simplifié.
Dans quelle mesure les biais s’appliquent-ils au domaine de l’UX Design ?
Les biais cognitifs & la démarche UX
Les biais cognitifs peuvent s’appliquer à différentes étapes de l’UX design : les entretiens, les ateliers, les interviews, les tests utilisateurs ou encore la conception d’interface. Ils permettent de recueillir des données de meilleure qualité auprès des utilisateurs et impactent la perception de celui-ci face à un service/produit.
En comprenant la psychologie et les motivations des utilisateurs, l’UX designer pourra anticiper leur manière d’interagir et optimiser sa stratégie en adaptant son produit/service en conséquence.
Il pourra aussi tourner certains biais cognitifs à son avantage afin d’attirer l’utilisateur pour obtenir une conversion à la clé. Attention tout de même à ne pas tomber dans le piège des « Dark pattern » qui consiste à orienter délibérément les utilisateurs dans une direction en jouant avec leur sentiment de frustration, plaisir ou encore gratification sociale pour effectuer des actions impulsives. Une utilisation trop massive de ce type de méthode peut clairement gâcher l’expérience utilisateur.
Et qu’en est-il des UX designer ?
Comme vous l’avez compris les biais cognitifs s’appliquent à l’utilisateur mais l’UX designer n’est pas en reste ! En effet, ce dernier est lui aussi soumis à ce mécanisme de pensée inconscient auquel il devra prêter attention. Voici les grands axes qu’un UX designer se doit de connaitre pour se protéger contre ses propres biais cognitifs :
- Connaître les biais les plus courants ;
- Se renseigner et étudier sur le sujet en amont ;
- Étudier et bien appréhender le contexte et l’environnement des utilisateurs ;
- Travailler en équipe tout en impliquant les utilisateurs pour garder de l’objectivité ;
- Garder l’esprit ouvert avec des suppositions et non des affirmations ;
Vous l’avez compris, les biais cognitifs se révèlent encore plus importants face aux situations urgentes ou critiques. C’est au moment où notre cerveau fait face à un surplus d’informations qu’il est le plus susceptible de faire appel aux biais cognitifs qui vont lui permettre d’accélérer nos réactions afin de trouver rapidement une issue. Le but n’étant pas de les supprimer car nous en avons besoin pour alléger notre cerveau et faire face à cette charge cognitive. Il est de toute façon mission impossible de leur échapper !
Plus récemment le livre « Noise » de Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein nous apporte d’autres pistes de réflexions intéressantes pour les UX Designer. Les biais ne sont pas les seules causes des erreurs de jugement et de raisonnement : en addition aux biais, le « bruit », c’est-à-dire une variabilité imprévisible du jugement, vient augmenter la marge d’erreur. La question pour l’UX Designer est alors de réussir à réduire son propre bruit, pour gagner en efficacité dans la conception de ses interfaces.
Crédit photo : Melitas